Si
le vent tourne, ta tête va rester comme ça !
Octobre 2001 - New Musical Express.
Article par Pier Martin.
© NME, 2001 - www.nme.com.
Traduction française © Thomas Van Hoecke, 2001.
À
l'intérieur d'une chambre anti-écho à deux minutes de marche
de sa maison, Aphex Twin s'écoute penser. Littéralement.
"Des putains de sons cérébraux," dit-il. "Écoute.
Je viens d’entendre mon premier son de cerveau".
Frottement, pétillement, battement. Si vous vous trouvez un
jour dans une chambre anti-écho et que vous vous concentrez,
vous pourrez vraiment entendre votre corps fonctionner avec ses
gargouillements internes. Normalement employé pour mesurer les
réponses de fréquence d'équipement audio comme des enceintes
et des amplificateurs, cette chambre particulière, à l’intérieur
de la School Of Engineering Systems and Design’s Acoustic
Research Center à South Bank à Londres, ressemble à quelque
chose que vous pourriez traverser dans un cauchemar. D’épaisse
couches de mousse, employées pour absorber le son et empêcher
la réflexion sonique, couvrent les quatre murs, le sol et le
plafond. Une grille de métal, le deuxième étage, est élevé
au-dessus des pointes saillantes de la mousse. Fermez la porte
en bois lourd... et écoutez le silence total. Enfin, presque. A
l'intérieur d'une chambre anti-écho, le compositeur
avant-gardiste John Cage s'attendait à entendre le silence mais
au lieu de cela il a entendu les sons émanant de son propre
corps, prouvant que la condition de silence ne pourra jamais
exister. Compositeur novateur et icône culturelle barbue,
Richard D. James a toujours voulu visiter une de ces chambres.
Il s’est récemment "mis à fond dans l'utilisation des
micros, c’est pour ça que je suis bien dans des lieux comme
celui-ci parce que c’est gravement brutal". En plus, il a
pensé que ça ferait fuir NME. Il a choisi de changer de son
lieu traditionnel d'interview, un des cafés à l'intérieur du
centre commercial voisin à Elephant & Castle au Sud de
Londres.
Ici, tout sonne plat. Votre voix, épurée de toute résonance,
ne porte pas. Tapez des mains : aucune basse, aucun écho. Vous
partez après trois heures de conversation dans des conditions
contrôlées avec un enregistrement au son parfait. Et avec un léger
mal de tête.
A la
fin du mois, Warp Records sort le cinquième album de James sous
son label, Drukqs. Son premier LP depuis le Richard D James
Album de novembre 1996, c’est dire à quel point Drukqs a été
attendu avec impatience par des centaines de milliers de fans
dans le monde (en minimisant radicalement). Probablement le
disque le plus important de l'année, il comporte 30 nouvelles
compositions électroniques sur deux CD (ou quatre vinyles) et
sa durée dépasse les 100 minutes. À la différence de son prédécesseur,
la satisfaction d'écoute n’est pas immédiate parce que James
a voulu inclure des morceaux avec des styles et des techniques
complètement différents. C'est une sorte d'album dynamique
dont vous pouvez vous modeler une expérience personnelle. Jouez
le en mode shuffle. Faites un mini-disc des morceaux de piano et
des exercices mélodiques complexes. Gravez un CD de
l’ensemble des hymnes acides tordus. Prenez-le du commencement
à la fin et vous obtiendrez une idée approximative d'où a été
la tête de James pendant les cinq dernières années.
Il y a tellement de choses à évoquer avec Aphex. Depuis son
single de 1999 Windowlicker qui avait flirté avec le top 20 et
la vidéo de Chris Cunningham qui l’accompagnait (dans
laquelle la tête de James était posée sur des corps de divas
ondulantes), son public n’a jamais été aussi important et
son image aussi agréablement omniprésente. Ce morceau est le
single préféré des Daft Punk. Wes Borland, le guitariste
exotique de Limp Bizkit, oublie rarement de citer Aphex comme
une influence dans ses interviews.
Bien que James n'ait pas joué en live depuis sa tournée américaine
de 1997, un boulot de trois semaines accompagné d’une grosse
consommation de boisson ("J’estime que je pourrais
probablement encore gérer une tournée parce que c’est
tellement délirant, c’est si tentant"), il fait régulièrement
le DJ ici et à travers le monde entier avec ses amis, mélangeant
tout dans son portable G4 méga-gonflé ou, comme il l’a fait
la semaine dernière à Londres, mixant d’une manière experte
deux heures de Jungle old-school et de délire rave vintage.
L’année passée, NME a aussi été témoin de shows à
Lisbonne, Barcelone et d’un set sur une montagne au Japon où
l’audience devenue tarée à l’écoute du hardcore disco
assault de RDJ.
"Je veux que les gens bouillonnent, soient excités",
dit-il avec un doux accent des Cornouailles marqué par Londres.
"C'est le seul intérêt à la chose parce que moi-même
j'aime être comme ça quand je sors et c'est la raison pour
laquelle je fais beaucoup de musique, pour que les gens s’éclatent,
et moi avec".
"Beaucoup de gens pensent que c’est bizarre que je fasse
de la musique de danse et des trucs comme ça. Certains pensent
que je devrais seulement faire de la musique classique, du genre
‘Pourquoi gaspilles-tu ton temps avec ces rythmes en 4/4 ?'
Les gens me voient sous des angles tellement différents, c'est
fou".
Une semaine, il jouera pour rien avec son posse du label RePHlex
Records à une soirée illégale sur une plage près de Dublin.
La semaine suivante, il prendra un avion direction le Brésil
pour deux sets de DJ et rentrera plus riche de 50.000 £. Sa vie
est dure, n'est ce pas.
Sa vie et son travail ont été salués et mythifiés à tel
point que seuls lui, ses amis proches et sa famille connaissent
le vrai du faux. Mais ce n’est pas important. Si vous voulez
lire un truc amusant, cliquez sur la section FAQ de Joyrex.com,
le meilleur site officieux consacré à Aphex, où vous
trouverez tout ce que vous voulez savoir de ce que l'on suppose
que James a fait. "C’est brutal, ce site est complètement
barré." dit-il. "J'ai lu des tonnes de trucs là-dessus.
C’est juste de la désinformation totale. Certaines choses
sont fausses mais les gens en sont tellement sûrs qu’elles en
deviennent vraies. Mais j’aime ça, c’est plutôt
sympa."
La vérité maintenant. James a eu 30 ans en août. Pour le cas
où quelqu'un aurait décidé de faire une soirée pour son
anniversaire, il a fuit vers sa maison de campagne au Pays de
Galles. Maison qu’il a acheté pour pouvoir s'occuper de ses
parents qui deviennent vieux. Il aime le curry, particulièrement
les plats épicés comme un psychopathe et il prétend qu'il
fait lui-même un vindaloo moyen. Il adore The Fall ("je
trouve qu'ils sont brillants. C’est la première musique dans
laquelle je suis vraiment entré"). Il avait l'habitude de
voir ses morceaux comme des nuances de jaune, "je ne sais
pas pourquoi", mais ce n’est désormais plus le cas. Pour
la santé, il chevauche son vélo "maniaquement" à
travers Londres.
A cause du fait que plus de personnes qu'il ne le voudrait
connaissent son adresse électronique, il est récemment rentré
chez lui pour constater que quelqu'un avait essayé de pirater
son ordinateur.
"J'en ai eu des tonnes (de tentatives de hacking) et aucune
d'elles n'a réussi parce que j’ai des firewalls et d’autres
trucs". Il explique : "mais il y avait ce mec,
cette personne, cet être humain, qui a juste réussi à entrer.
C'était vraiment intéressant parce que je ne pouvais pas le
repérer pendant une éternité. Je ne l'ai toujours pas
vraiment découvert mais j'ai enregistré tout ce qu'ils ont
fait et ainsi quand ils essaieront à nouveau, j'essayerai de
les trouver."
Dans ses morceaux, il se réfère souvent à lui-même à la
troisième personne. Le dernier exemple étant sur Cock/Ver 10
l'explosion frénétique "Come on you cunt, let’s some
aphex acid". En termes de nouvelle musique contemporaine,
il estime qu’il n'y a personne d’aussi bon que son ami Tom 'Squarepusher'
Jenkinson, avec qui il projette de créer un label de disques
sur lequel ils sortiront leurs propres morceaux. Quand on
demande à James son autographe, ce qui a tendance à
l’emmerder, il signe avec un tampon spécial Aphex Twin -
"je vais en avoir un plus petit parce que celui la est trop
gros". Fin juillet, il a sorti un single sur le label
RePHlex, ‘2 Remixes by AFX' (des versions excellentes de
morceaux de 808 State et de DJ Pierre) qui, bien que n’ayant
eu aucune promotion, s’est vendu à 25.000 exemplaires. Dans
le dernier roman de l’auteur américain Bret Easton Ellis, le
complètement barré Glamourama, le narrateur observe que
"un des types d’Aphex Twin" était à une soirée à
Londres. "C’est intéressant", dit James,
"j'aime connaître des petits bouts d'information, je ne
lis pas trop. Seulement des manuels."
Aphex a beaucoup d'amis d'origine de Cornouailles, deux
d’entre eux occupent chacun un étage dans la grande maison
marron (5 étages) de James. Chaque fois que lui ou un de ses
amis DJ (DMX Krew, Cylob, Maddog Wallace, K-Rock) joue dans une
rave, vous pouvez être sûrs qu'ils seront tous là pour le
soutenir. Richard a toujours eu une petite amie, depuis qu'il a
17 ans. "Je suis sûr que je n'ai pas besoin d'une petite
amie ou de quelqu'un d’autre dans ma vie mais évidemment
j’aime vraiment ça." Il hausse les épaules. "Je ne
me suis jamais retrouvé seul longtemps. J’ai toujours
rencontré quelqu'un que je trouvais bien et avec qui je me suis
mis."
As-tu plus de choix en étant Aphex Twin ?
"Je ne crois pas, non... Je ne pense pas".
Aujourd'hui, James porte un pantalon et des baskets noirs et un
de ces anoraks design techno en tissu vert avec un tas
d’attachements de courroies ("du Japon"). Ses
cheveux roux lui arrivent aux épaules et ses ongles sont longs.
Il a un oeil droit paresseux. Il ne porte plus de montre (qu'il
utilisait seulement pour calculer la longueur de ses trips sous
acides de toutes façons) en partie parce que "je n'aime
pas vraiment le temps, les jours, les mois et tous ces trucs -
c'est à chier".
Il explique : "ma mémoire est complément ruinée. Je ne
peux jamais me rappeler des jours parce que je n’y fais jamais
attention. Je ne fais jamais attention au jour et au moment dans
l’année, bien que je sache toujours quel jour on est.
Vaguement".
Sais-tu quel jour on est aujourd'hui (lundi) ?
"Non. Je n’en ai pas la moindre idée."
Mais tu sais qu’on est en septembre ?
"Ouais, mais, pour vous donner une idée de la situation,
seulement parce que hier je suis allé prendre des carottes dans
le réfrigérateur et que Mammoth (un ami de James) m’a fait
'Elles sont dépassés de deux putains de semaines !' Et
j'ai dis, 'je pensais qu’on était toujours en août' et il
m’a répondu, "Espèce de pauvre con !'
Ca fait quoi d’avoir 30 ans ?
"Ca ne fait aucune différence pour moi," dit-il en
haussant les épaules. "S'il y a une sorte de crise de la
trentaine, je pense que je l’ai eu pendant deux jours quand
j’avais environ 26 ans. Ce n'était probablement même pas
aussi long en réalité."
Ne regardes-tu jamais derrière toi en pensant "Ça alors !
dix ans sont passé en un rien de temps" ?
Oh, eh bien, cela n’aurait pas pu être tellement mieux, je
crois. (rires) Je n’arrive pas à imaginer comment ça aurait
pu être mieux."
Tu n'as jamais rien regretté ?
"Non, vraiment rien."
Une pop star internationale qui n'est jamais passé à Top Of
The Pops (il le voulait quand il était "jeune et
idiot"), le Mozart moderne, la force la plus palpitante et
innovatrice de la musique électronique de ses 20 dernières années,
c’est bon de voir le retour d’Aphex Twin. Tandis que
l'attrait de la dance agit sur Orbital, les Chemical Brothers,
Prodigy et Basement Jaxx et est la preuve qu'une bonne idée
suffit parfois (mais pas toujours) pour supporter une carrière,
Aphex Twin papillonne entre les genres et les styles musicaux
avec une grâce naturelle et une flamboyance occasionnelle,
d'une manière imprévisiblement prévisible. Vous n’avez
jamis écouté 'Selected Ambient Works 85-92' l’album qui
l’a fait connaître en 1993 (sur le label R&S) ou le
single classique 'Windowlicker' ? Pourquoi ? Quelle
est votre excuse !
James n’a pas beaucoup de temps. Les trains qui passent sur le
pont ferroviaire près de sa maison sont sa seule routine. Il y
a un répondeur téléphonique que désormais plus personne
n’appelle. Un appel téléphonique, soupire-t-il, peut anéantir
une heure de fabrication de musique. Il passe la majorité son
temps à la composition et à l'écoute de sa musique.
"Toute la journée j'écoute de la musique, tout le temps.
Mais j'écoute la mienne plus que toute autre parce que c’est
ma musique favorite. Je n'écrirais pas de musique si ce n'était
pas le cas. Il y a certainement des morceaux que j'ai faits qui
ne sont pas aussi bon que d’autres, il y en a des
centaines."
Il n'avait pas projeté de sortir un album cette année. Il était
tout à fait content d’être chez lui à composer des morceaux
électroacoustiques dans le style musique concrète, morceaux
qu’il considère comme étant ses meilleurs, "ou plutôt
je dirais que ce sont mes meilleurs mais les gens penseraient
qu’ils sont à chier. Je n'ai pas sorti ces morceaux parce que
je n’aurai pas vendu autant d’exemplaires. Les meilleurs
sont tous basés sur des algorithmes et ils sonnent étrangement."
Il y a quelques exemples de cette technique de collage de sons
sur Drukqs, comme 'Gwarek2', dont des parties ont été utilisées
comme bande sonore au court métrage Flex de Chris Cunningham
qui faisait partie de l’exposition Apocalypse à la Royal
Academy Of Art l'année dernière.
"J’essaye de mettre au point un logiciel tendant vers
l’Intelligence artificielle, j’essaye d'imiter ce que vous
pouvez actuellement faire en tant qu’être humain et
j’essaye d'imiter tous les processus et de faire que
l’ordinateur les automatise."
Donc l'ordinateur écrit presque la musique lui-même ?
"Ouais. Quand j'ai commencé à le faire j'ai pensé que j'étais
la seule personne dans le monde qui faisait ça. Et ensuite, je
me suis rendu compte il y avait des milliers des gens le faisant
et j'ai vérifié chaque logiciel. Il y en a beaucoup qui sont
mieux que le mien dans la théorie mais qui ne sonne pas bien.
Je ne trouve pas que le son est agréable, c’est trop froid.
Mais les théories qu’ont élaborées certaines personnes me
passe au dessus de la tête, grave."
En tant que musicien, il croit qu'il s'améliore tout le temps.
"Techniquement, je suis de plus en plus bon dans la
transcription de mes émotions dans des morceaux, j’obtiens
plus des sentiments de manière exacte. Ce n’est pas comme
dans mes vieux morceaux parce que vous devez évidemment changer
mais je suis certainement meilleur pour faire ça et je suis
plus content des résultats finaux." Il préfère faire ses
morceaux sur son ordinateur portable."Avec les
portables," dit-il, "c’est un peu comme avec la
musique folk parce que vous en faites tout le temps. Je
reconnais que c’est bizarre. On peut croire qu’il faut être
en studio avec des tonnes de matériels mais l'idée de la
musique doit, normalement, être une sorte de transcription de
choses de votre cerveau en un petit bout de son. Donc, si vous
êtes toujours en studio, vous allez en obtenir une certaine
particule. Mais le but suprême est d'écrire la musique tandis
que vous faites autant de choses que possible, ainsi vous faites
écho dans votre morceau de ce que vous venez de vivre."
"Avec un ordinateur portable, vous pouvez faire des
morceaux sur une plage, en montagne, dans une forêt ou dans une
voiture. Dans une voiture, je trouve que c’est excellent,
comme si vous étiez branché sur l’autoradio. Je suis bien
dans ce trip, juste rouler. Rouler et rendre folle ma
copine" Il sourit, le sourire de la pochette du 'Richard D.
James album’.
James dit qu’il n’avait pas prévu de sortir un album cette
année avant de perdre un lecteur de mp3 sur un vol vers l'Ecosse,
"qui n'était pas terrible". Sur le lecteur : 273
morceaux inédits d’Aphex et 80 de Squarepusher. Heureusement,
les deux artistes avaient des copies. "J'ai pensé que
quelqu'un allait les mettre tôt ou tard sur le net, je crois
toujours qu'ils le feront. Donc j'ai juste pensé que j’allais
sortir un bon gros stock de morceaux sur un quadruple album mais
ça ne contenait toujours pas tous les morceaux que j'ai perdus.
Je veux sortir tous les morceaux mais c’est un vrai cauchemar
que d’essayer de faire un album avec 4 CD. Déjà que c’est
assez chiant avec deux !"
"Je trouverais ça cool que ce soit un fan qui l’ai trouvé
et qu’il fasse des copies pour ses potes mais je ne veux pas
que quelqu'un l’uploade sur le net – je veux gagner de
l’argent dessus !"
’Drukqs' est un mot inventé qui n’est supposé ne rien
signifier du tout. "Ca n’a rien à voir avec les
drogues". Beaucoup des noms des morceaux sont écrits dans
la langue de James : "composée d’une sorte de
Cornouaillais-Celte-Gallois tout mélangé". "Ca vient
juste du fait de vivre en Cornouailles et de voir autour de soi
les noms de lieux et les noms de famille. Ils sont tous un peu
mystique. Je les aime vraiment. J’aime vraiment les mots
Celtes. Je trouve qu’ils sont magnifiques."
Par exemple, Le premier morceau de l'album, Jynweythek Flow, est
la traduction littérale en Cornouaillais de 'musique de la
machine électronique '.'Penty Harmonium' signifie 'harmonie
peinte', ‘Gwely Mernans' veut dire ‘Lit de mort'. James
pense que Drukqs sera sa dernière tentative de séduire des
nouveaux auditeurs potentiels. Il estime que l’album peut
"le lever". Il y a quelque chose pour chacun sur
Drukqs, des morceaux de piano programmées par ordinateur qui
sont en réalité impossibles à jouer sur un clavier, les
montages électroacoustiques d’orfèvre ou les breakbeats
parcourus d'acid typiquement AFX. Un morceau est en particulier
empreint d'affection : 'Lornaderek' utilise les voix de ses
parents qui chantent un 'Happy Birthday' à leur 'petit fils de
28 ans' sur son répondeur.
Si James fait bien tous les devoirs promotionnels que Warp
Records veut qu'il fasse, le label pense que Drukqs devrait se
vendre à un million d’exemplaires. L'Amérique, où Aphex est
considéré comme le Dieu de l’IDM (Inteligente Dance Music)
et où le phénomène prend de l’ampleur, est peut-être le
territoire le plus important. Pour Warp donc, pas pour James.
Aphex ne veut pas que son visage soit exposé pour la campagne
de l'album. C’est pourquoi, à l'aide d’élastiques et de
ses compétences en Photoshop, il a produit "quelques
illustrations mutantes. Du genre, ‘OK, si je fais cette
couverture (de magazine), j'essaye et je le fais moi-même parce
que ça peut être assez drôle !" Ainsi, il a
consenti à faire une poignée d'interviews pour aider vendre
"un morceau de plastique" et il est poli, drôle,
ouvert et (choc d’horreur) normal. Il a ce talent social qui
lui permet d'exprimer ses pensées d’une manière facilement
compréhensible en employant un vocabulaire formé par les années
passées à lire attentivement des manuels d'ordinateur et à
teufer et se défoncer avec ses amis. Avec reconnaissance, il
transcrit ses émotions dans sa musique avec une lucidité délicieuse.
"C'est la chose que je préfère dans la musique, vous
pouvez exprimer des choses qui n'ont jamais été exprimées
auparavant. Et vous pouvez arriver à cette réaction, c'est
excellent."
Pourtant, 'Drukqs' ne défriche pas vraiment de nouveaux
territoires (bien qu’il rende unidimensionnels tous les récents
travaux de ses pairs, à l'exception du stupéfiant 'Go
Plastic’ de Squarepusher).
"Je reconnais que le disque est un peu direct pour moi.
J’estime qu’il n'y a pas d’émotion que je n’ai pas
exploré dans mes disques précédents. Je n'ai choisi aucune
des nouvelles choses que j’ai faites parce que je n’ai pas
voulu les sortir maintenant. J'ai choisi des trucs qui étaient
dans le style de ce que j’avais déjà fait car je sais
exactement comment ils vont vieillir maintenant, c’est bizarre
pour moi."
(…) Aphex croit que s'il avait sorti ses tout nouveaux
morceaux produits avec des techniques que personne hormis
l’auteur n'a entendues auparavant ils auraient rapidement été
démodés. Des musiciens paresseux mais techniquement compétents
analyseraient vite les méthodes de production que James a passé
des années à perfectionner. Il pourrait mentir, bien sûr.
Mais si vous savez de quoi il est capable musicalement, vous ne
pouvez pas douter de ses paroles.
Nous devions plutôt être reconnaissants des miettes nous
recevons d’Aphex Twin. "En fait, je n’aime partager ma
musique avec personne. Ca me fait chier parce que je la fais
pour moi et de temps en temps pour mes amis et je préférerais
ne pas la sortir."
"En fait," continue-t-il, "c'est vraiment étrange
parce que tu fais tous ces morceaux et ils sont comme tes petits
bébés et tu dois les partager avec tout le monde. Tu es la
seule personne qui les écoute et c'est vraiment horrible. Je
n’aime pas ça du tout mais bon… Je veux me faire de
l’argent pour ne pas avoir à travailler dans un endroit de
merde. Donc je sors ma musique."
Personne à part toi n'entendra jamais tous tes morceaux ?
"Probablement non. Je ne crois pas. A moins qu'il me les
vole."
Ou les pirate sur ton ordinateur.
"Ouais. Mais je ne les ai pas tous sur mon ordinateur de
toute façon donc ils n’en auraient pas beaucoup. Quelques
centaines (rires)."
"Mais ouais, ce que je voulais dire était que je dois
donner ces choses aux gens, si je devais tout sortir mon petit
secret serait les tonnes de petits trucs à l’intérieur des
morceaux qu'ils ne seront jamais capables de remarquer. C'est
comme si tu donnais quelque chose mais que tu ne le fais pas
vraiment. Tu en as gardé une partie pour toi et ils ne sauront
pas qu’elle est là."
Teufeur, expert, Dieu, magicien, mutant, crétin. Les gens
attendent tant d’Aphex Twin. Mais il est seulement humain. Il
ne peut pas tout faire. Il espère continuer à faire le DJ
quand il aura 75 ans. "Ca serait drôle de continuer à
jouer pour des jeunes alors que tu es vieux." Il sourit.
"Ce serait excellent".
C’est certain, ça c’est Aphex Twin.
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